Le succès inachevé des Sicav de droit français

La Sicav est « l’entité juridique la plus adaptée pour la promotion des produits français à l’étranger ». En ces termes, le livre blanc de l’Association française de la gestion financière (AFG), publié en juin 2019, fait du produit star des années 1970 le fer de lance de la gestion d’actifs française à l’international. La Sicav pouvait, après quelques adaptations, « rendre davantage visible l’offre française à l’international », explique Virginie Buey, directrice de la promotion internationale à l’AFG. Le dépoussiérage proposé depuis 2016 par le groupe de place, « Frog » (French Routes and Opportunities Garden), repose sur deux piliers : la transformation du fonds commun de placement en Sicav, et la publication d’une charte de gouvernance pour les Sicav de droit français, afin de promouvoir de meilleures pratiques dans les conseils d’administration. Car la bonne gouvernance est identifiée par le groupe Frog comme le nerf de la guerre, la clé de la future compétitivité des placements collectifs français sur la scène internationale. 

La Sicav remise au goût du jour
La Sicav était pourtant tombée en désuétude avec la loi de 1979 sur les fonds communs de placement. Elle ne pouvait pas être dotée de plusieurs compartiments, et cette impossibilité laissait le champ libre aux Sicav luxembourgeoises, en plein essor. « La France a fait partie des pionniers des Sicav, mais elle ne l’était pas suffisamment en matière de réglementation, note Alain Ferry, président de la Sicav Amplegest. Le fonds commun de placement est une copropriété, une notion française qui n’existe pas au niveau européen. » La Sicav, au contraire, est une société anonyme à capital variable, dotée de la personnalité morale. « Elle est indépendante de la société de gestion, précise Alain Ferry. En tant que société, elle peut prendre toute décision quant à son fonctionnement, changer de gérant d’un ou des compartiments, ou encore changer les compartiments de dépositaire. » Une société comme les autres, en quelque sorte, dont le modèle est parfaitement compris partout en Europe et ailleurs. A l’heure du Brexit et de l’Union des marchés de capitaux (UMC), le véhicule méritait qu’on s’y intéresse. 

Un instrument juridique unique
A partir de 2018, il est enfin possible de créer des compartiments à l’intérieur de la Sicav et de leur faire absorber des fonds, sans impact fiscal pour les porteurs. « L’instrument juridique que nous avons en France est formidable, dès lors que sa gouvernance est bien structurée autour d’un conseil d’administration comprenant des administrateurs indépendants, apprécie Alain Ferry. Il protège les épargnants, et devrait être à lui seul un motif de souscription. » La modernisation de la Sicav française rencontre d’ailleurs un succès certain. Plusieurs établissements choisissent de transformer leurs FCP en Sicav, ou d’en créer de nouvelles.« Nous avons appliqué cette charte avec beaucoup de rigueur, car nous lui trouvions une utilité, souligne Bertrand Merveille, directeur général délégué chez La Financière de l’Echiquier (LFDE). Il était essentiel que la Sicav de droit français puisse s’exporter dans de bonnes conditions. » LFDE proposait jusqu’alors deux gammes de placements collectifs : une française en format FCP, et une luxembourgeoise en format Sicav. « Nous avions des ambitions européennes et internationales, et nous avons fait le choix de transformer notre gamme de fonds français en Sicav. » Désormais, LFDE dispose de trois principales Sicav : la Sicav Echiquier, de droit français, avec la plupart des compartiments importants ; la Sicav Echiquier Impact, également de droit français et dédiée aux fonds d’impact, dotée de deux compartiments ; et une Sicav luxembourgeoise. 

DES PRATIQUES DE GOUVERNANCE QUI MANQUENT DE TRANSPARENCE 
Dans le cadre d’une étude sur les pratiques de gouvernance des Sicav françaises menée de mai à octobre 2020, Ethics & Boards, spécialiste de la gouvernance durable, a contacté 33 Sicav de droit français. Un échantillon défini par Ethics & Boards avec Option Finance et Insight AM, sur près de 300 Sicav existantes, ouvertes au public et représentatives de l’industrie de la gestion d’actifs en France. En l’absence de réponses, Ethics & Boards a recueilli les informations présentes sur les sites Internet des sociétés de gestion, délégataires de la gestion de la Sicav : rapport annuel incluant notamment la composition du conseil d’administration, politique de vote et d’engagement actionnarial, et compte rendu annuel de la politique d’engagement actionnarial.D’après les éléments disponibles à date, sur 33 sociétés, 100 % ont fait mention légale de la mise à disposition de leurs rapports annuels auprès de leurs actionnaires et 39 % ont rendu public cette information sur leurs sites Internet. En revanche, 82 % n’ont pas publié ni rendu public leur compte rendu de vote. Seules 12 % des Sicav étudiées – 4 sur 33 : AXA Selection Architas, Covéa Flexible ISR, Fundquest et Métropole Funds – ont publié et rendu accessibles, à la fois un rapport annuel et le compte rendu de vote 2019. Certaines sociétés ne communiquant pas sur une politique d’engagement actionnarial qui leur serait propre déclarent appliquer celle des sociétés assurant la délégation des activités de gestion, qui publient la leur à 100 %. 

En phase avec les standards internationaux
La gouvernance de toutes ces Sicav est elle aussi sortie renforcée de l’opération. Le directeur de la gestion d’actifs de La Financière de l’Echiquier, Olivier de Berranger, siège au conseil d’administration de la Sicav Echiquier, aux côtés de trois administrateurs, dont deux indépendants. Bertrand Merveille, quant à lui, préside le conseil d’administration de la Sicav Echiquier Impact, entouré de quatre administrateurs indépendants. « Cette gouvernance, qui laisse une large part à des administrateurs indépendants, par ailleurs experts, est importante pour le bon fonctionnement et l’orientation stratégique de la Sicav, estime-t-il. Dans le cadre de la Sicav Impact, par exemple, l’équipe de gestion des compartiments ne peut se présenter devant le conseil d’administration sans avoir accompli un travail extrêmement solide sur l’impact dans l’environnement coté. »Sicav françaises et Sicav luxembourgeoises ont désormais un mode de fonctionnement et un type de gouvernance similaires, en théorie du moins. Certes, le marché des organismes de placements collectifs (OPC) à l’export reste dominé par les Sicav de droit luxembourgeois et irlandais. « Mais, aujourd’hui, commercialiser une Sicav de droit français, avec une gouvernance alignée sur les standards internationaux, ne doit plus poser de problème sur la plupart des marchés, assure Bertrand Merveille. Nous le constatons au quotidien. La Financière de l’Echiquier a réalisé une collecte nette une peu supérieure à 1,7 milliard d’euros en 2020. Notre collecte à l’international est en nette accélération. Plus d’un tiers de la collecte nette s’est fait en dehors de France. Ce qui reflète la stratégie que nous déployons, et qui n’aurait pas été possible, dans ces proportions, avec des FCP standards. » 

Le Luxembourg conserve un avantage historique
En dépit des améliorations apportées par les dispositifs de place, la situation des Sicav de droit français reste décevante aux yeux de certains acteurs de la gestion d’actifs, qui la comparent à celles des véhicules concurrents étrangers. Ceux-ci ont conservé un avantage logistique et historique indéniable. Des juridictions sont restées fidèles au format de la Sicav luxembourgeoise. « Nos Sicav, telles qu’elles sont conçues en France, souffrent du manque d’autonomie à l’égard de leur promoteur, et demeurent trop souvent des chambres d’enregistrement des décisions de la société de gestion, regrette Pascal Koenig, président fondateur du cabinet d’études Insight AM. Elles sont trop rarement des sociétés de plein exercice, qui conféreraient aux investisseurs une responsabilité décisionnelle et de contrôle. La présence de mandataires sociaux de la société de gestion à des postes décisionnels de la Sicav constitue une déviation à une juste gouvernance. » Le conseil d’administration de la Sicav devrait ainsi être en mesure de juger de la pertinence de la gestion qui a été effectuée, des actes à l’égard du dépositaire, des conservateurs et de l’ensemble des prestataires de services pour la Sicav. « C’est la société de gestion qui est prestataire de services, et non l’inverse », rappelle Pascal Koenig. 

Vers un statut européen de la Sicav ?
Point d’orgue du dispositif, la Charte de gouvernance des Sicav de droit français, telle que promulguée par l’AFG en 2017, prévoit trois critères de bonnes pratiques : la notion d’administrateur indépendant, le nombre minimal de membres indépendants requis au sein de l’instance collégiale, enfin, le nombre maximal de mandats exercés par les membres de l’instance collégiale. « Cette charte pose les fondements de la gouvernance des Sicav, notamment parce qu’elle recommande l’intégration d’au moins deux administrateurs indépendants au sein du conseil d’administration, admet Pascal Koenig. Mais ce protocole mérite désormais d’être amendé, notamment sur la qualification et le rôle des administrateurs : leur provenance, leurs missions, leurs mandats, leurs compétences, la parité, etc. Il faudrait aussi instituer une plus grande transparence afin d’intéresser au mieux les investisseurs étrangers au modèle français. »Enfin, certains gérants militent pour la création d’un statut de Sicav européenne. Le groupe de travail Frog avait beaucoup insisté, dans un premier temps, pour que la société de gestion puisse maintenir le préfixe du pays d’origine dans le code ISIN (International Securities identification Number) lors du changement de statut juridique de l’un de ses FCP en Sicav. Cette règle devait permettre au véhicule de conserver l’historique du fonds et la performance passée depuis son lancement. Dans son livre blanc publié trois ans plus tard, intitulé« Gestion d’actifs : renforcer la compétitivité de la place de Paris », le groupe de place Frog, sans changer radicalement de doctrine, appelle de ses vœux la création d’un statut de« Sicav européenne ». Un statut que pourraient adopter les Sicav de droit français, et qui donnerait lieu au remplacement du préfixe pays du code ISIN, par un préfixe « eu ».« Personne ne fera revenir en France les Sicav de droit luxembourgeois, concède Alain Ferry. Mais pouvoir se battre à armes égales permettrait de ne pas désavantager les Sicav qui travaillent bien. » 

L’ADMINISTRATEUR INDÉPENDANT EN FONCTION, CET OISEAU RARE
« L’administrateur indépendant en fonction n’est pas simple à trouver », se désole Alain Ferry, président de la Sicav Amplegest. Selon la Charte de gouvernance des Sicav de droit français, l’administrateur indépendant ne doit pas être rémunéré, ni l’avoir été au cours des trois années précédant son entrée en fonction, par la société de gestion, ni l’un de ses actionnaires significatifs, fournisseurs ou prestataires. « Traditionnellement, des institutionnels ou des clients rentraient dans les conseils d’administration des Sicav », se souvient Alain Ferry.Une habitude qui a pris fin lorsque ont émergé les soupçons de conflits d’intérêts.« Aujourd’hui, il y a peu d’administrateurs indépendants en fonction dans le milieu financier. Les règles internes dans les groupes les empêchent d’accepter ces fonctions. » 

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